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Livre de Jean Rime "Monsieur Courbet déboulonne Fribourg"

  • Photo du rédacteur: Bernard Bailly, Grands paysages alpins
    Bernard Bailly, Grands paysages alpins
  • 1 janv. 2023
  • 3 min de lecture

Dernière mise à jour : 23 avr.

Nous ne pensions pas en 2015 après avoir effectué un séjour de création artistique à la Ferme Courbet à Flagey que ce stage déboucherait, en 2023, sur une collaboration avec Jean Rime pour son livre Monsieur Courbet déboulonne Fribourg (à paraitre en mai 2023), Editions de Montsalvens, 300 pages dont les deux dernières consacrées à notre intervention en résidence d’artiste au MAHF. (Bernard Bailly)


Il aura fallu attendre la veille de l’impression de ce livre pour que j’aie connaissance de la démarche alors en cours d’un autre peintre, plus directement ancrée dans le territoire cantonal. À la fin janvier 2023 et pour plusieurs semaines, Bernard Bailly et son épouse Janet, domiciliés à Tentlingen, installent leurs pinceaux au dernier étage de l’hôtel Ratzé, invités par le Musée d’art et d’histoire de Fribourg en résidence d’artistes afin de préparer l’exposition commune que leur consacre l’institution sur le thème Sarine – Saane du 30 mars au 4 juin 2023. Dans le prolongement d’un travail amorcé l’année précédente, Bernard Bailly explore le motif de l’arbre en fusionnant la « peinture d’après nature » pratiquée avec son épouse et une « peinture d’après peinture », où son esthétique volontiers « réaliste-romantique » s’étaie de références puisées dans l’histoire de l’art, et notamment dans sa prédilection pour l’Ecole genevoise des peintres de paysage – celle-là même qui avait conduit en Gruyère les Bovy, Menn puis à travers eux Corot. Parmi les modèles revendiqués par l’artiste, Courbet figure en bonne place : enfant, avant de déménager dans le canton de Fribourg, le paysagiste né à Genève avait en effet suivi, avec sa famille, son père nommé garde-frontière au col des Roches, dans le Jura, ce qui l’a rapproché des paysages du Doubs chers au peintre d’Ornans. Cet intérêt qui remonte à la prime jeunesse s’est ranimé bien plus récemment, en octobre 2015, à la faveur d’un séjour créatif dans la ferme familiale des Courbet à Flagey, devenue centre culturel.


Bernard Bailly sachant que le Musée d’art et d’histoire conservait un Arbre de Courbet, l’idée s’est tout naturellement imposée à lui d’en réaliser une « copie » ou une « interprétation » – ce sont ses termes –, comme il l’avait fait pour l’Arbre tombé d’Alexandre Calame. Se basant sur une photographie éclaircie de l’œuvre, pour en bien distinguer des détails que la sombre couche picturale de l’original laisse dans l’ombre (tel ce petit pont à gauche, ou les lignes tourmentées du tronc), il entreprend, un peu à la manière de Courbet lui-même, un travail sériel. Dans un premier temps, il multiplie les esquisses en noir et blanc sur de petits formats, avant d’en tracer des versions au fusain puis à l’acrylique aux dimensions de l’original – quelque 70 × 60 centimètres. Ce patient processus de répétition et de variation lui permet de se faire la main, de se familiariser avec le tableau et, explique-t-il, d’« apprendre » progressivement à maîtriser la composition de l’œuvre. Cette phase d’approche lui donne aussi l’occasion d’affiner sa palette chromatique. Peu fidèles à la gamme « terre noire » de Courbet, les teintes orangées de son premier essai, induites par l’éclaircissement de la photographie, seront atténuées par la suite. Vient alors le moment, en grand format, de la toile définitive, dont l’élaboration se nourrit de cette inlassable recherche.


Conceptuellement (« d’une certaine manière, je me situe aussi comme un peintre conceptuel militant pour la protection d’une culture et d’une tradition »), cet Arbre recréé à Fribourg charrie avec lui la trajectoire du tableau qui l’inspire, du site représenté (non fribourgeois) jusqu’au déplacement dans la collection de Marcello. Mais l’œuvre véhicule aussi, plus ambitieusement, le cheminement de l’inspirateur, ses itinérances transfrontalières, les réverbérations de son style – presque par capillarité – sur l’iconographie fribourgeoise via l’école genevoise. L’histoire de cette complexe réappropriation collective de Courbet fait enfin écho à celle, toute personnelle, de son admiratif émule.


En dernière analyse, remotiver ainsi la localisation actuelle de L’Arbre de Courbet par une nouvelle création, au même endroit, par un artiste du lieu, symbolise la manière dont l’œuvre du peintre français s’est incorporée au patrimoine culturel fribourgeois. Loin de suggérer que « l’art suisse n’existe pas », selon un titre provocateur de Michel Thévoz, le geste de Bernard Bailly et son Arbre qui, lui, pourrait très bien s’enraciner dans la forêt sarinoise, prouvent qu’un tel art existe bel et bien, et montre comment il se fabrique, au carrefour des influences et en jouant, ainsi que l’image l’artiste, sur « les deux tableaux » : « mes connaissances d’histoire de l’art et ce que je vois dans la nature ». Un art suisse au carré en somme, informé par les paysages comme par la tradition artistique, et devenu intimement lui-même par l’innutrition de ce qui lui était a priori extérieur.


Jean Rime, mars 2023

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