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«Loin de l’agitation et des excès», réd: Elisabeth Haas

  • Photo du rédacteur: Bernard Bailly, Grands paysages alpins
    Bernard Bailly, Grands paysages alpins
  • 13 avr. 2023
  • 3 min de lecture

Dernière mise à jour : 22 avr.

Janet et Bernard Bailly ont suivi le cours de la Sarine, de sa source à son embouchure


Des rochers, des falaises, des montagnes, leur toucher rude et âpre: la Sarine de Janet et Bernard Bailly est largement faite de pierres. On sent la force de la roche dans leur nouvelle exposition en couple, Sarine-Saane, à voir actuellement dans le cadre du Muséoscope, au Musée d’art et d’histoire de Fribourg.

L’accrochage, réalisé par le commissaire Stephan Gasser, ne cache rien des tensions à l’œuvre dans la peinture de paysage: entre l’ancrage dans un genre traditionnel qui a connu d’illustres prédécesseurs, l’héritage ressassé, et la patte personnelle, renouvelée, mais aussi à cause de la présence – ou de l’absence – humaine. Janet Bailly, lors de la conférence de presse, a elle-même souligné que leurs séances extérieures, chevalet sous le ciel, sont la plupart du temps accompagnées par la marche des randonneurs. Ils sont rarement seuls sous le soleil ou les pieds dans la neige. Le choix d’œuvres exposées gomme largement ces traces humaines. Mais elles sont tout de même là. Ne serait-ce que parce que le regard des artistes modifie déjà le paysage…


A la frontière

Ce sont en tout cas de splendides plans larges et serrés sur la rivière chère aux Fribourgeois, qui trouve sa source dans la région du Sanetsch (en Valais) et plonge dans l’Aar dans le canton de Berne. A la frontière des langues et à la frontière entre nature et culture. Par la diversité des cadrages choisis et l’effet de série, Janet et Bernard Bailly approchent de biais le cours de la Sarine et l’idéalisation d’une beauté romantisée, intacte et sauvage.

Ces rochers précisément ont des allures indomptables, dominantes, pas toujours accueillantes. Ils ont un caractère monumental particulièrement dans les tableaux de Bernard Bailly. Car même si le couple se retrouve dans son partage des balades et des lieux inspirants, digérés, assimilés en plein air, ils procèdent avec des différences. Chacun ses propres tableaux! Les voir côte à côte met en valeur à la fois leur parenté et leur style particulier. Janet Bailly réalise plutôt des formats moyens, presque entièrement dans le terrain. Bernard Bailly, lui, «recompose» ses grands formats dans un second temps, à l’atelier.

A l’entrée, deux tableaux témoignent de leur volonté de se fondre dans la nature: on devine leur silhouette ou leur toile tendue en filigrane, entre les arbres. Le couple exprime avoir besoin de «vivre» et «sentir» le paysage. Sur des images vidéo, visibles dans l’exposition, on voit leurs chiens accompagner ces sorties privilégiées. Mais leur regard déforme forcément la réalité: ils disent ne pas chercher le «photoréalisme», même si les habitués ou les baigneurs reconnaîtront bien sûr ici des falaises connues, là des sommets pratiqués.


Janet Bailly aime les vues larges et de loin, les touches fines, elle est très sensible aux lumières, dont elle prend grand soin du rendu, mais aussi aux dégradés de couleurs, par exemple sous la neige ou à l’automne quand la végétation prend littéralement feu. Bernard Bailly, lui, a tendance à «cerner» ses motifs, «en hommage à Hodler», dont il est «imprégné». Il procède par épaisseurs, avec beaucoup de matière, d’acrylique en l’occurrence. Ses détails de pierres confinent parfois à l’abstraction. Ses racines sont noueuses. Tous deux magnifient les reflets de l’eau.


Pour un public d’ici

Le Sanetsch, la région de Château-d’œx, La Tine, le Moléson avec le lac de la Gruyère gelé, les rives à Hauterive ou à Illens, le lac de Pérolles où la ville de Fribourg se devine dans la brume à l’arrière-plan: autant de paysages ainsi traversés par les artistes et arrêtés par leurs pinceaux virtuoses. On y repère l’un ou l’autre pont, un mur, une écluse, mais le bâti y est peu visible.

C’est pour eux une manière de quitter «l’agitation de la ville et les excès de l’art contemporain», comme l’a suggéré Bernard Bailly lors de sa présentation. Dans le contexte actuel, c’est peut-être aussi une forme de nostalgie, ou de sursaut écologique: on sait bien que l’on entend le bruit de l’autoroute près des grottes de l’Ermitage de la Madeleine. On mesure ainsi d’autant mieux la valeur d’une nature menacée… Dans un désir de «décroissance», qui ne va pas sans contradictions, les artistes peintres défendent aussi des «valeurs locales»: il fait sens pour eux de peindre des sujets d’ici pour un public d’ici.


Jusqu’au 4 juin 2023 au Musée d'art et d'histoire de Fribourg.

LA LIBERTE

Jeudi 13 avril 2023

Elisabeth Haas

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